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Cet article s’inspire en partie de mes cours à l’université Lyon 2. Si quelqu’un se souvient du nom de la professeure qui dispensait ces cours, n’hésitez pas à me le communiquer pour que je puisse l’ajouter à l’article 😊
Le film noir est un genre cinématographique qui a émergé au début des années 1940, principalement aux États-Unis. Ce terme a été popularisé par les critiques de cinéma français après la Seconde Guerre mondiale, en référence aux œuvres sombres qui dépeignaient des histoires de crime, de moralité ambiguë et de corruption. Malgré l’influence majeure du genre sur de nombreuses œuvres contemporaines, il n’a jamais été clairement défini par les cinéastes de l’époque. Il s’agit plutôt d’un ensemble de tropes stylistiques, narratifs et esthétiques qui se sont développés au fil du temps.
Le Faucon maltais inaugure le genre en 1941 et introduit la figure emblématique du détective privé. Une atmosphère typique du film noir se dessine dans ce long métrage : la fumée, le chapeau, et la cigarette au coin des lèvres…
On observe d’ailleurs dans cette bande-annonce plusieurs caractéristiques du genre : l’ambivalence morale du protagoniste, la femme fatale, les intrigues complexes…
Mais le film noir est bien plus développé que cela.
Bien que l’expression « film noir » ait été utilisée pour la première fois en 1946 par le critique français Nino Frank, qui relevait des similitudes entre quatre films américains suivants :
- Le Faucon maltais de John Huston,
- Assurance sur la mort de Billy Wilder,
- Laura d’Otto Preminger, et
- Adieu, ma belle d’Edward Dmytryk,
le terme « film noir » n’a été officialisé aux États-Unis qu’au début des années 1970. Il servait alors à désigner un groupe de films, les « crime melodramas », produits à Hollywood entre 1941 et 1959.
Aujourd’hui, le film noir dépasse la simple notion de genre : c’est un style, un mode de représentation du monde sans concession, ni douceur.
Entrons donc dans le vif du sujet et analysons ses différentes caractéristiques :
Partie 1 : La forme et le style du film Noir :
D’un point de vue stylistique, on remarque dès le début la présence de scènes nocturnes avec un décor très austère.
Dans le western classique, le protagoniste parvient souvent à « dominer » son environnement ou, du moins, à y trouver sa place.
Dans le film noir, c’est tout l’inverse : les lignes sont verticales, l’ambiance est nocturne, les perspectives sont déformées, et l’environnement urbain devient un univers cauchemardesque.
Les films expressionnistes, tels que Le Cabinet du docteur Caligari (1920) de Robert Wiene, utilisaient des éclairages contrastés et des décors déformés pour exprimer des états émotionnels internes. Cette approche a trouvé un écho chez les réalisateurs de films noirs, qui ont utilisé ces techniques pour amplifier le sentiment de paranoïa et d’isolement ressenti par leurs protagonistes.
On y retrouve des éclairages en clair-obscur, des contrastes marqués et des décors claustrophobiques…
Les réalisateurs et techniciens européens qui avaient fui l’Allemagne nazie ont apporté avec eux un style visuel sombre, caractérisé par des ombres profondes, des angles de caméra dramatiques et une atmosphère de malaise. Parmi ces figures, le réalisateur Fritz Lang a joué un rôle clé, avec des œuvres comme M (1931), qui préfigurent les motifs sombres du Film Noir.
Le Film Noir se distingue également par son ambiance pessimiste, reflet d’une Amérique hantée par la guerre et les bouleversements économiques. Les films de cette époque captent une société en crise, peuplée de personnages à la dérive dans un monde où les institutions ne peuvent plus être un refuge de confiance. Le désenchantement généré par la perte de l’innocence post-Deuxième Guerre mondiale, et la menace sous-jacente de la Guerre froide, imprègnent le genre de leur propre paranoïa.
1-2 L’éclairage claire-obscur (Chiaroscuro) :
Le jeu sur les ombres et la lumière est fondamental au Film Noir. Les films noirs privilégient l’éclairage à faible intensité, qui crée des contrastes marqués entre la lumière et l’obscurité, un style communément appelé chiaroscuro. Cette technique visuelle renforce l’impression que les personnages se débattent dans un monde incertain, avec des zones d’ombre symbolisant à la fois les dangers extérieurs et les dilemmes moraux intérieurs.
Étude de cas : Double Indemnity (1944) de Billy Wilder
Dans Double Indemnity, l’utilisation d’ombres portées intensifie le suspense et souligne la duplicité des personnages. La scène où Phyllis (Barbara Stanwyck) et Walter (Fred MacMurray) complotent pour commettre un meurtre est un exemple parfait d’éclairage expressionniste.
La lumière qui passe à travers les stores crée un effet d’emprisonnement visuel autour des personnages, symbolisant leur immersion dans un complot criminel.
1-3 Les angles de caméra
Les angles de caméra désorientant et dynamiques sont un autre aspect essentiel du Film Noir. En utilisant des plongées, des contre-plongées ou des angles obliques, les réalisateurs expriment l’instabilité mentale ou émotionnelle des personnages. Ces techniques permettent aussi de déstabiliser le spectateur, rendant le monde du film encore plus imprévisible et hostile.
Étude de cas : The Third Man (1949) de Carol Reed
Dans The Third Man, la caméra adopte fréquemment des angles obliques, renforçant le sentiment de confusion du protagoniste, Holly Martins (Joseph Cotten), alors qu’il tente de démêler le mystère autour de la mort de son ami Harry Lime (Orson Welles). L’utilisation d’angles inhabituels, notamment dans la scène de poursuite finale dans les égouts de Vienne, reflète à la fois la menace omniprésente et la moralité vacillante des personnages.
1-4 L’architecture et les décors urbains
Les décors urbains, souvent sombres et angoissants, jouent un rôle clé dans le Film Noir. Les villes représentées sont fréquemment anonymes, sans réelle identité géographique, ce qui accentue l’universalité du mal qui y règne. L’environnement urbain participe à la fois à la sensation de claustrophobie et au sentiment que les personnages sont pris au piège d’un labyrinthe moral et physique dont ils ne peuvent sortir.
1-5 La voix-off et le flash-back :
Deux procédés narratifs sont souvent utilisés :
–La voix-off et Le flash-back
Les deux sont souvent associés, la voix-off peut amener le flash-back et inversement. Tous deux sont également l’expression d’un destin pessimiste et implacable.
Les films les plus emblématiques qui utilisent le flash-back sont :
– « Assurance sur la mort » (le flash-back apparait dès le début)
– « Adieu ma belle »
– et « Les tueurs ».
Dans Assurance sur la mort, le flash-back apparaît dès le début, et l’action est racontée du point de vue de l’assassin (comme dans de nombreux films noirs). Cela renforce l’idée d’un destin inéluctable qui s’abat sur le personnage. Wilder choisit de commencer par la fin, au moment où l’assassin, grièvement blessé, est mourant. Le récit semble ainsi programmé : on nous montre dès le départ la conséquence des événements.
La confession n’est donc pas gratuite. Le personnage perd son sang au rythme des flash-backs et des retours au présent. Il ne s’agit pas de suspense, mais bien de fatalité. Le film propose une explication implacable des événements ayant conduit le personnage à sa déchéance.
Le flash-back permet une narration en ellipse et est souvent significatif de la condamnation du protagoniste.
Les modes narratifs du film noir participent de l’expression d’un pessimisme fort et d’un sentiment d’impuissance (liés à la paranoïa laissée par la seconde guerre mondiale). On retrouve la notion de culpabilité, vraisemblablement celle d’avoir commis des actes violents… Ainsi que l’analogie avec le cauchemar. Le poids du passé qui détermine ces films noirs est à comprendre comme l’expression d’un traumatisme.
Ce sont des personnages ordinaires dépassés par les évènements…
Partie 2 : Les thèmes récurrents du Film Noir
Le Film Noir est riche en thèmes sombres et complexes, qui explorent des questions existentielles, morales et psychologiques. Ces thèmes reflètent souvent le climat culturel et politique de l’époque, notamment la montée du capitalisme, l’individualisme exacerbé et la fragilité des institutions sociales.
2-1 Le destin et l’inéluctabilité
On en a parlé plus haut sur l’utilisation du flash-back, mais un thème majeur du Film Noir est l’idée que les personnages sont souvent impuissants face à leur destin. Peu importe leurs efforts pour échapper à leurs situations difficiles, ils sont piégés dans un cycle de fatalité.
Cette idée, héritée du tragique grec, fait écho aux angoisses de l’époque, où la montée de la technologie, de la bureaucratie et des institutions politiques semblait échapper au contrôle de l’individu.
Étude de cas : Out of the Past (1947) de Jacques Tourneur
Dans ce film, Jeff Bailey (Robert Mitchum) est un homme hanté par son passé. Sa tentative de se refaire une vie normale est continuellement compromise par son implication dans des affaires criminelles. Jeff est un homme pris au piège, il a beau essayer de prévenir la police, sa fin sera tragique…
2-2 La culpabilité et l'ambiguïté morale
Le Film Noir interroge sans cesse la frontière entre le bien et le mal. Les protagonistes ne sont pas des héros traditionnels, mais des hommes ordinaires qui, souvent par cupidité, désir ou désespoir, se retrouvent plongés dans un monde de corruption et de déchéance. Ces personnages sont souvent rongés par la culpabilité, un thème central qui les pousse à questionner leurs propres actions.
Étude de cas : Detour (1945) d’Edgar G. Ulmer
Dans Detour, Al Roberts (Tom Neal) est un pianiste qui, par une série de malentendus et de malchances, se retrouve accusé d’un meurtre qu’il n’a pas commis. Le film illustre parfaitement l’idée qu’un homme « normal » peut voir sa vie basculer par désespoir…
2-3 La solitude et l’isolement
Le sentiment d’isolement est un autre thème clé du Film Noir. Les personnages sont souvent dépeints comme étant fondamentalement seuls, même lorsqu’ils interagissent avec d’autres. Ils ne peuvent faire confiance à personne, pas même à eux-mêmes. Leurs choix les poussent à s’éloigner des autres, renforçant leur sentiment d’aliénation.
Étude de cas : Kiss Me Deadly (1955) de Robert Aldrich
Dans Kiss Me Deadly, la solitude et l’aliénation du protagoniste, Mike Hammer, reflètent une vision sombre de la société de l’après-guerre, où les relations humaines sont marquées par la méfiance et l’exploitation.
Sa quête du mystérieux « Great Whatsit » (souvent interprété comme une métaphore des peurs nucléaires de l’époque) ne le connecte à personne, mais l’enfonce davantage dans une spirale paranoïaque où les antagonistes sont désignés comme un « ils » indistinct et menaçant.
Partie 3 : Les personnages du film noir :
On a une économie budgétaire du film qui sert le propos puisque la logique narrative est moins importante que les personnages.
Le comportement humain constitue l’aspect dominant du film. On s’intéresse à la psychologie des personnages et leurs motivations. Ainsi, la littérature policière reste la première source d’inspiration des films noirs.
Au cœur du Film Noir se trouve un protagoniste cynique, souvent un détective privé ou un homme ordinaire pris dans des circonstances qui échappent à son contrôle. Il est en quête de vérité ou de justice, mais finit souvent par être corrompu par les forces du destin. Ses actions ne sont jamais purement bonnes ou mauvaises, ce qui en fait un héros imparfait, confronté à ses propres faiblesses morales.
3-1 - Le protagoniste et son ambiguïté morale :
La censure de l’époque empêchait de porter atteinte à la police. Ainsi, les policiers deviennent vertueux et le détective, lui, est à la frontière entre la loi et le crime (la ligne entre le bien et le mal s’affine et le détective fait figure d’ambiguïté).
Par exemple dans « The big sleep » (sortie en 1946 par Howard Hawks, adapté de Raymond Chandler)
On a les caractéristiques du détective rebelle, indépendantiste et un peu marginal.
Dans ces films, le gangster est sujet à une marginalité d’ordre sociale, le détective, lui, est sur la ligne de démarcation.
Il est dur, désillusionné, mais au fond, il reste attaché à une forme de code moral. Son enquête sur une affaire de chantage le plonge dans un monde de corruption et de crime, et même s’il n’est pas moralement irréprochable, Marlowe est un homme qui tente de faire ce qui est juste dans un monde imparfait.
Souvent, si le détective œuvre pour le bien commun, son attitude morale est individualiste. Ses méthodes sont peu scrupuleuses, ses mobiles égoïstes (souvent l’argent) et sa morale détestable.
Ils ont tendance à être des bad boys (Bogart dans toute sa splendeur).
Ce personnage du détective privé est neuf, bien que la figure soit préexistante et également issue d’adaptation, mais jusqu’alors ce sont des figures de gentlemen comme Sherlock Holmes.
La sympathie du héros des films noirs peut dissimuler une facette bien plus sombre. On a le sentiment que rien n’est fiable.
Ces films parlent souvent de personnages essayant de démêler le vrai du faux (comme dans « Quelque part dans la nuit » de Mankiewicz (soldat blessé et amnésique, qui se lance dans une quête pour comprendre son passé).
Dans le groupe des antagonistes, les relations sont instables. Les liens peuvent se renverser à tout moment et ils sont prêts à se trahir par intérêt personnel. Jusque-là rien de nouveau par rapport à beaucoup d’autres films. Mais à la différence du film de Gangster, le film noir à une intrigue complexe et brumeuse. Beaucoup d’éléments sont des prétextes parce que les personnages et leurs comportements sont souvent plus importants que l’intrigue.
3-2 – L’archétype de la femme :
Les rapports hommes-femmes dans les films Noirs sont compliqués. On peut observer trois déclinaisons différentes :
– La cliente : distante et méfiante, basé sur un rapport monétaire.
– L’amante : relation charnelle, pas d’épanchement sentimental.
– La secrétaire : figure fraternelle.
(Il existe bien évidemment des exceptions comme dans « Kiss me deadly » où Velda est sa secrétaire mais aussi sa maitresse)
La femme fatale apparait véritablement après la guerre (même si on peut en voir avant). Elle est à la fois séduisante et dangereuse, souvent responsable de la chute du protagoniste masculin. Manipulatrice, elle utilise son charme pour contrôler ou détruire les hommes qui se trouvent sur son chemin. Son pouvoir réside dans sa capacité à exploiter les failles psychologiques des hommes, incarnant ainsi l’anxiété culturelle autour de la libération féminine.
Étude de cas : Gilda (1946) de Charles Vidor
Dans Gilda, Rita Hayworth incarne une femme fatale qui représente à la fois la séduction irrésistible et la trahison. Le personnage de Gilda attire et manipule les hommes qui l’entourent, notamment son mari et l’homme qui l’aime. Sa complexité réside dans son ambivalence, car elle n’est ni entièrement victime ni entièrement manipulatrice, brouillant les frontières entre le bien et le mal.
Il y a celle qui fait le mal malgré elle et celle plus perverse qui prend plaisir à faire le mal.
La puissance érotique était déjà amorcée dans les films noirs, contrairement au caractère maléfique qui viendra plus tard
NB : La censure en place rendait obligé le passage par la suggestion dans le cadre de l’érotisme.
Un peu comme le détective, la femme fatale est un personnage en marge de la société et des valeurs de la famille. Son apparence est trompeuse. Elle a un beau visage et des manières innocentes mais elle dupe son monde avec une perversité intérieure (même si ce n’est pas toujours le cas).
Le film « Assurance sur la mort » cité plus haut est l’exemple parfait du couple qui cherche à tuer quelqu’un pour récupérer les sous de l’assurance…
Barabara Stanwick propose un autre type de femme fatale, beaucoup plus froide que ce qu’on a vu jusque-là.
On retrouve dans le film « Adieu ma belle » réalisé par Edward Dmytryk, la configuration d’écart d’âge entre la femme fatale et son mari et la mise en opposition de deux types de femmes (la brune accusant la blonde d’être froide et vendue).
La femme fatale se met en scène et le regard de l’homme la toise à plusieurs reprises. C’est elle qui gère l’éclairage, elle ordonne littéralement sa présentation dans une séquence.
A la sortie de la seconde guerre mondiale, de nouveaux enjeux sociologiques apparaissent. On a une vision en noir et blanc de la femme, très littéral, stéréotypé, qui inspire le désir et la peur.
Ceci rejoint une tradition du regard masculin (male gaze) de l’époque, la femme est soit vierge soit « putain » et le film noir prolonge cette vision biseautée.
La vision de la femme fatale fait perdre pied au protagoniste en l’envoûtant comme une sirène.
Cela renvoie à l’expression d’une crise de la masculinité liée à la guerre. Les hommes sont de retour et se retrouvent face à une situation nouvelle quant au statut des femmes. Elles ont massivement travaillé (notamment aux États-Unis) dans les industries de guerre et ont désormais un certain « pouvoir » qui inquiète les anciens soldats. Les hommes doivent faire face à un changement tout en étant eux-mêmes marqués par un traumatisme. On retrouve donc des protagonistes masculins ambigus, parfois liés au passé de la guerre et à la culpabilité qu’elle implique. Le trouble provoqué par la femme fatale renvoie à cette impossibilité de faire comme si de rien n’était.
Conclusion et croisement des genres :
Malgré les multiples définitions proposées par des théoriciens comme Raymond Borde et Etienne Chaumeton, ou encore James Naremore, le Film Noir reste insaisissable, tantôt un genre, tantôt un style, parfois même une simple atmosphère. Mais cette ambiguïté est précisément ce qui fait sa richesse et son attrait intemporel. Comme ses protagonistes, le Film Noir refuse de se laisser enfermer dans une définition unique, préférant évoluer et se réinventer à chaque nouvelle interprétation.
Au final, le genre « pur » n’existe pas ! Je vous invite à lire l’article sur la classification des genres pour en savoir plus !
On a beau soulever quelques similarités entre les films, il n’y a pas de formule absolue ! Il y aura toujours des exceptions !
Inspirez-vous de cette formule et brisez les codes pour faire une œuvre originale qui trouve tout de même ses origines dans un genre particulier !
Je vous invite pour aller plus loin, à lire l’article de Scenar mag sur l’intrigue du film noir :
Sur ce, c’est tout pour cet article 😊 n’hésitez pas à commenter si vous avez des questions et à la prochaine pour plus de contenu !