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ToggleDans son ouvrage Emotional Structure: Creating the Story Beneath the Plot, Peter Dunne, scénariste et producteur chevronné, explore les aspects fondamentaux du storytelling émotionnel, et son importance dans la création d’histoires engageantes et captivantes.
L’une des thèses principales de Dunne est que les intrigues peuvent capturer l’attention du public, mais c’est la structure émotionnelle qui touche profondément les spectateurs, les liant émotionnellement aux personnages et aux enjeux de l’histoire.
L’analyse détaillée de Emotional Structure montre à quel point il est crucial de ne pas se contenter de développer une intrigue dynamique, mais de concentrer l’énergie créative sur l’évolution émotionnelle des personnages.
Sur ce, entrons dans le vif du sujet !
1. L'Importance de la Structure Émotionnelle dans le Storytelling
Peter Dunne introduit son concept de structure émotionnelle en différenciant deux axes fondamentaux de la narration :
l’intrigue (plot) et la structure émotionnelle.
Selon lui, une erreur courante chez les scénaristes débutants est de se focaliser uniquement sur l’intrigue, c’est-à-dire les événements extérieurs, les actions des personnages, les rebondissements et les résolutions.Or, la véritable puissance d’une histoire réside dans son sous-texte émotionnel, c’est-à-dire dans la manière dont les personnages évoluent émotionnellement à travers ces événements. La structure émotionnelle désigne donc les arcs intérieurs des personnages, leur transformation psychologique et émotionnelle, souvent marquée par des conflits internes.
Dunne affirme que l’intrigue est l’échafaudage visible de l’histoire, mais que ce sont les motivations, les désirs, les peurs et les émotions des personnages qui lui donnent de la profondeur. En d’autres termes, l’intrigue est ce qui se passe à l’extérieur, mais la structure émotionnelle est ce qui se passe à l’intérieur des personnages.
2. La Différence Entre l'Intrigue et la Structure Émotionnelle
Dunne insiste sur la nécessité de bien comprendre cette distinction, car elle est souvent mal maîtrisée. L’intrigue consiste en une série d’événements qui, certes, attirent l’attention et génèrent de l’action, mais ces événements doivent être en lien avec l’évolution émotionnelle des personnages. Il s’agit de connecter chaque événement de l’intrigue à une progression émotionnelle.
Pour moi, certains films mettent en place des actions ou des personnages par prétexte et non par utilité. Je m’explique :
Pour moi, le genre d’une histoire et le contexte du film doit servir à la thématique et au message que vous voulez faire passer.
Un film de super héros permet de parler, par exemple, de la condition humaine ou de la responsabilité du pouvoir… Du lien entre la capacité qu’on a à aller toujours plus vite et toujours plus loin mais notre inaptitude à contrôler nos émotions et nos désirs… Au final, le plus dur quand on est un super héros, c’est avant tout d’être humain…
Dans ce sens, le genre du super héros est utile à la transformation des personnages et au propos de notre histoire.
Mais si les héros sont placés là pour offrir aux spectateurs des explosions de boules de feu et une bataille intergalactique, alors c’est un prétexte. Les éléments ne servent que le spectaculaire et non les émotions. Si l’ennemi ou les évènements peuvent être remplacés par d’autres sans changer la fin de l’histoire (comme dans la soupe aux choux par exemple), alors il y a de forte chance pour que l’intrigue et les éléments de votre scénario ne soient que des prétextes et ne servent pas vraiment l’œuvre !Prenons l’exemple d’une histoire d’amour où deux personnages sont confrontés à des obstacles qui les empêchent d’être ensemble.
L’intrigue pourrait tourner autour de ces obstacles extérieurs : des malentendus, des rivalités, des pressions sociales, etc.
Mais l’intérêt émotionnel réside dans la manière dont ces événements affectent leur relation et leurs émotions respectives, comment ils surmontent ou non leurs propres peurs intérieures liées à l’amour, à l’engagement, ou à la confiance.A vous de voir la thématique que vous souhaitez aborder et la « morale », la leçon ou le message que vous voulez faire passer. Si vous faites une romance, vous avez sûrement une vision de l’amour qui vous est propre. Un traitement unique qui pourrait rendre votre œuvre originale. Qu’est-ce que l’amour pour vous ?
Pour Dunne, une bonne intrigue doit être conçue comme un moyen de révéler et de confronter les états émotionnels internes des personnages. En ce sens, l’intrigue et la structure émotionnelle doivent être imbriquées.
En d’autres termes, les évènements racontés ne doivent pas être choisis au hasard ! Chaque scène doit servir pour une émotion ou une information !
3. Le Rôle Central de l'Arc Émotionnel des Personnages
Un des aspects fondamentaux de l’approche de Dunne est ce qu’il appelle l’arc émotionnel des personnages. L’arc émotionnel désigne le changement intérieur qu’un personnage subit tout au long de l’histoire. Pour qu’une histoire soit captivante et qu’elle résonne émotionnellement avec le public, il est essentiel que les personnages principaux traversent une transformation émotionnelle significative.
Un bon exemple est celui des films de super-héros où le protagoniste doit souvent surmonter des obstacles externes – affronter un méchant ou sauver le monde – mais aussi et surtout dépasser des conflits internes.
Le succès de Spiderman 1 est aussi dû à l’arc transformationnel de Peter Parker qui le rend vraiment humain !
Suite au trauma émotionnel qu’il a eu à voir son oncle mourir et après la tentation de tuer à son tour le meurtrier, ce n’est que face au bouffon vert qu’il peut embrasser pleinement son rôle de héros et comprendre que : « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ».
Pourtant, tous les films de super héros n’ont pas la puissance du premier Volet de Sam Raimi. Beaucoup des derniers Marvel ne servent qu’à vendre des goodies et à nous en mettre plein la vue avec des scènes qui claquent et quelques vannes bien placées…
Il n’y a pas de réflexion profonde sur le genre humain ou les super héros.
Ce sont des séries comme The Boys qui ont aujourd’hui une réelle réflexion sur le genre !
Selon Dunne, un arc émotionnel réussi nécessite un point de départ clair (le personnage au début de l’histoire), un milieu où le personnage est confronté à des épreuves qui le forcent à évoluer, et une fin où ce dernier atteint une forme de transformation ou de réalisation émotionnelle.
4. Le Point de Vue Émotionnel et son Impact
Dunne aborde ensuite la notion de point de vue émotionnel, un élément essentiel pour créer un lien entre le public et les personnages. Ce point de vue ne se limite pas à la perspective narrative, mais inclut également la manière dont les personnages perçoivent et ressentent les événements qui surviennent dans l’intrigue. Cela permet de donner une voix émotionnelle à l’histoire.
À travers le point de vue émotionnel, chaque scène est vécue selon l’état émotionnel du personnage. Si un protagoniste traverse une crise personnelle ou une grande tristesse, ces émotions devraient influencer la manière dont la scène est construite visuellement et narrativement.
Prenons un film comme American Beauty : tout au long de l’histoire, nous voyons les événements à travers le regard cynique et désillusionné de Lester Burnham. Sa transformation émotionnelle — de l’ennui à la rébellion contre les normes sociales, puis à une forme de paix intérieure — teinte chaque scène de cette œuvre et aide à en faire une expérience émotionnelle intense.
5. Construire la Tension Émotionnelle
Dunne met en avant l’importance de la tension émotionnelle dans une histoire, qu’il décrit comme le moteur principal qui maintient l’attention du public.
Construire cette tension ne signifie pas nécessairement accumuler des conflits spectaculaires ou des événements dramatiques. Au contraire, Dunne soutient que la tension émotionnelle peut surgir de situations relativement banales si elles sont vécues avec une intensité émotionnelle forte. Par exemple, un simple dîner de famille peut devenir une scène extrêmement tendue si les personnages cachent des émotions non exprimées ou traversent des conflits internes profonds.
A l’heure de l’intelligence artificielle et des plans dopés à la CGI, les grosses explosions et les effets spéciaux n’impressionnent plus grand monde. La vraie tension ne réside pas dans la taille des armes mais dans la manière dont celles-ci sont utilisées.
La mitraillette de Rambo qui tue des centaines de Vietnamiens provoque moins de tension que la lame de rasoir de Sweeney Todd.L’essence de la tension émotionnelle réside dans le fait que le public perçoit que le personnage est au bord d’une révélation émotionnelle ou d’un changement interne majeur, même si cela ne se manifeste pas immédiatement. Dunne recommande de construire lentement cette tension tout au long de l’histoire, en évitant de résoudre les conflits émotionnels trop rapidement ou de manière artificielle.
L’évolution doit être réaliste. C’est pour ça que vous devez choisir avec soin les évènements nécessaires à sa transformation. Vous devez placer les personnages et les différentes actions judicieusement pour briser les différents mensonges auxquelles croit votre protagoniste.
C’est aussi pour ça que votre antagoniste doit être créer en fonction de votre protagoniste.
6. Le Rythme Émotionnel : Alterner Entre Calme et Crise
Un aspect essentiel que Dunne souligne est l’importance du rythme émotionnel. Tout comme une intrigue a des moments de tension et de relâchement, les émotions des personnages doivent également suivre une progression rythmée. Trop de tensions successives sans répit peuvent épuiser le public, tandis qu’un manque de conflits émotionnels peut provoquer l’ennui.
Dunne propose donc de structurer l’histoire de manière à alterner entre des moments de calme émotionnel – où les personnages peuvent être dans une phase de réflexion ou de repos – et des moments de crise où ils sont confrontés à des choix émotionnellement difficiles. Cette alternance permet de maintenir un équilibre émotionnel et de garder le public impliqué.
Par exemple, dans un drame romantique, après une scène de confrontation intense entre les deux protagonistes, il peut être utile d’inclure une scène plus calme où l’un des personnages réfléchit à cette confrontation et aux émotions qu’elle a éveillées en lui. Cette pause permet non seulement de maintenir le rythme, mais aussi de donner de la profondeur à l’expérience émotionnelle du personnage.
7. La Catharsis Émotionnelle : Le Moment Culminant
Dunne s’inspire de la notion aristotélicienne de catharsis pour expliquer que toute histoire émotionnelle devrait culminer dans un moment où les émotions accumulées sont finalement libérées. Ce moment de catharsis est crucial car il apporte une forme de résolution émotionnelle, non seulement pour le personnage, mais aussi pour le public.
La catharsis émotionnelle peut se manifester de différentes manières selon le genre de l’histoire. Dans un drame, cela peut être un moment de profonde introspection ou de réconciliation émotionnelle. Dans un film d’action, cela peut se traduire par un acte de bravoure qui libère le personnage de ses peurs ou doutes intérieurs. Dunne souligne que ce moment doit être préparé avec soin et ne doit pas arriver de manière inattendue ou précipitée. Il doit être le résultat naturel de l’accumulation des tensions émotionnelles tout au long de l’histoire.
Un exemple classique de catharsis émotionnelle est la scène finale de Rocky où, après avoir subi d’innombrables épreuves physiques et émotionnelles, Rocky atteint enfin une forme de paix intérieure en acceptant qui il est, qu’il gagne ou perde le combat. Ce moment transcende l’intrigue sportive et devient un moment de libération émotionnelle.
8. Les Obstacles Émotionnels : Pousser les Personnages à leurs Limites
Dunne souligne l’importance d’imposer des obstacles émotionnels aux personnages. Les obstacles physiques et les défis extérieurs sont souvent les plus visibles dans une intrigue, mais ce sont les obstacles émotionnels qui créent de véritables dilemmes intérieurs et motivent la transformation des personnages.
Ces obstacles émotionnels peuvent prendre de nombreuses formes : la peur de l’échec, la culpabilité, le doute de soi, l’incapacité à faire confiance aux autres, ou des blessures émotionnelles passées qui empêchent le personnage de s’ouvrir. Ces obstacles doivent être suffisamment difficiles pour pousser le personnage à ses limites et le forcer à affronter ses peurs les plus profondes.
Dunne donne l’exemple d’un personnage qui souhaite atteindre un objectif extérieur, comme obtenir une promotion au travail. Cependant, l’obstacle émotionnel sous-jacent pourrait être la peur du rejet ou un sentiment d’insécurité. Le conflit interne est souvent plus puissant que le conflit externe et permet de relier l’audience aux luttes émotionnelles que nous vivons tous dans la vie quotidienne.
C’est la puissance des personnages comme Luke Skywalker qui sont tiraillés entre rejoindre le côté obscur ou vaincre Dark Vador.
Son objectif extérieur est aussi relié à un conflit émotionnel intérieur très puissant !
Une lutte interne entre le « bien » et le « mal ». D’autant que ce dernier est incarné par son père !
9. La Transformation Émotionnelle : La Clé de la Progression
Pour Dunne, une transformation émotionnelle réussie est ce qui distingue une histoire mémorable d’une histoire oubliable. Une transformation émotionnelle crédible nécessite que le personnage évolue de manière organique en réponse aux événements de l’intrigue. Cela signifie que le personnage doit apprendre, changer, et se transformer à travers les défis émotionnels auxquels il est confronté.
Cette transformation ne doit pas être uniquement positive. Dans certains cas, un personnage peut échouer à surmonter ses obstacles émotionnels et peut en sortir plus brisé ou plus amer qu’il ne l’était au début de l’histoire. Ce type de transformation peut être tout aussi puissant, car il montre la complexité des expériences humaines. Et le spectateur apprend des échecs de votre protagoniste.
Dunne utilise souvent l’exemple des personnages tragiques pour illustrer ce point. Par exemple, dans Le Parrain, Michael Corleone commence l’histoire en tant que jeune homme prometteur, désirant échapper au destin de sa famille. Mais, au fur et à mesure que les événements l’entraînent vers une vie de crime, sa transformation émotionnelle le conduit à devenir encore plus impitoyable que son père. Bien que cette transformation soit sombre, elle est extrêmement satisfaisante du point de vue émotionnel car elle est crédible et bien préparée.
10. L'Équilibre Entre l'Intrigue et la Structure Émotionnelle
Dans la conclusion de Emotional Structure, Dunne aborde le défi de trouver un équilibre entre l’intrigue et la structure émotionnelle. Une bonne histoire ne doit jamais sacrifier l’un au profit de l’autre. Une intrigue pleine de rebondissements peut être captivante, mais si elle manque de profondeur émotionnelle, le public aura du mal à se connecter aux personnages et à s’investir émotionnellement dans l’histoire.
Dunne propose de travailler en parallèle sur l’intrigue et la structure émotionnelle dès le début du processus de création. Chaque scène, chaque décision narrative doit non seulement servir à faire avancer l’intrigue, mais aussi à enrichir le parcours émotionnel du personnage. Cela demande un équilibre subtil et une attention constante à la manière dont les événements extérieurs résonnent sur le plan émotionnel.
Il insiste également sur le fait que la structure émotionnelle ne doit jamais être forcée ou artificielle. Elle doit découler naturellement des personnages eux-mêmes et des circonstances dans lesquelles ils se trouvent. Cela implique de bien connaître les désirs, les peurs et les vulnérabilités des personnages dès le début de l’écriture, afin de pouvoir construire une structure émotionnelle qui résonne avec authenticité.
J’ajouterais également qu’il faut définir en amont ce qu’on veut dire avec notre film. Si vous passez trois ans de votre vie à écrire et produire un film c’est bien pour une raison ? Si vous voulez que des centaines de personnes restent assises durant deux heures face à l’écran c’est bien pour leur raconter quelque chose ?
Choisissez le message que vous voulez faire passer, votre vision du monde, la thématique à traiter ! Une fois que c’est fait, lister les points de l’intrigue nécessaire à l’évolution de votre personnage / spectateur. Quels évènements votre héros doit vivre pour enfin changer ?Les règles dramaturgiques, au-delà de faire une histoire divertissante, servent surtout à construire un propos cohérent et compréhensible par tout le monde ! La morale n’est pas toujours explicite mais émane du conflit entre différents personnages qui ont des visions différentes du monde. En mettant en relation des événements et des personnages bien précis, vous pouvez construire un propos basé sur l’évolution émotionnel de votre protagoniste.
Conclusion :
Emotional Structure: Creating the Story Beneath the Plot de Peter Dunne est une lecture incontournable pour tout scénariste ou écrivain cherchant à approfondir la dimension émotionnelle de ses récits. L’ouvrage explore la manière de créer des personnages riches et complexes en leur donnant un arc émotionnel significatif qui va de pair avec l’intrigue.
Dunne rappelle aux scénaristes que ce sont les émotions humaines qui connectent le public à l’histoire. Une intrigue bien ficelée peut divertir, mais c’est la structure émotionnelle qui touche véritablement l’âme des spectateurs, leur permettant de s’identifier aux personnages et de s’investir émotionnellement dans leur parcours.
En résumé, Emotional Structure met en avant l’idée que le storytelling ne consiste pas seulement à raconter ce qui arrive aux personnages, mais à explorer ce que ces événements signifient pour eux sur un plan émotionnel, les amenant à grandir, changer, et parfois même à échouer, mais toujours de manière émotionnellement vraie.
Sur ce, j’espère que l’article vous aura plus. N’hésitez pas à commenter si jamais😊
Sinon je vous souhaite une bonne journée et je vous dis à la prochaine !